A l’occasion de la cession de parts sociales ou d’actions conférant le contrôle d’une société, l’acquéreur est toujours très prudent s’agissant de leur évaluation et du prix d’acquisition. La valeur des parts sociales ou des actions peut dépendre de nombreux paramètres et en particulier la valeur de l’actif et du passif, déterminés en comptabilité. Ainsi, pour se protéger contre une sous-évaluation du passif ou d’une surévaluation de l’actif, il est conseillé de stipuler dans l’acte de cession une « clause de garantie d’actif et de passif » .
Il existe beaucoup de variations de ce type de clauses. Disons simplement que le cédant devra reverser une somme au cessionnaire si, après la cession, un passif supplémentaire vient à être découvert (dette supplémentaire) ou que l’actif est dévalorisé (stocks mal évalués). Cette somme pourra parfois consister à restituer une partie du prix, et d’autres fois consister au versement d’une indemnité. De la sorte, la clause de garantie couvre le cessionnaire contre une mauvaise évaluation de la société. Toutefois, lorsque le cessionnaire souhaite s’en prévaloir, il peut parfois (souvent?) trouver porte close chez le cédant, considérant qu’elle n’a pas lieu de s’appliquer, afin d’échapper à son obligation. Cette matière offre un contentieux très nourri.
Un arrêt récent rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation illustre bien cette difficulté. Les faits sont plutôt simples : une société cède à une autre, les actions d’une troisième société, à un certain prix. Le prix, payable par annuités, n’est finalement pas versé en totalité par le cessionnaire. Le cédant l’assigne en paiement. Le cessionnaire demande alors à titre reconventionnel, la mise en oeuvre de la garantie d’actif et de passif. Trois enseignements peuvent être tirés de cette décision.
Le cessionnaire peut s’appuyer sur les avis contradictoires des commissaires aux comptes pour démontrer l’existence d’une inexactitude comptable
En premier lieu, il est demandé si le cessionnaire peut se prévaloir des avis contradictoires des commissaires aux comptes pour démontrer l’insincérité des comptes. Dans l’affaire en effet, le cessionnaire a mis en évidence une divergence d’avis entre commissaires aux comptes. D’un côté, le commissaire aux comptes « historique » de la société cédée avait validé sans réserves les comptes pour la période comptable de référence, avec corrections apportées par la société (erreur de valorisation des stocks, retraitées en charges exceptionnelles). De l’autre côté, le commissaire aux comptes nouvellement mandaté a émis des réserves expresses sur ces corrections.
Le cessionnaire en déduisait que les deux certificateurs des comptes avaient mis en évidence une inexactitude sur la valeur des stocks et encours pour la période de référence. La Cour d’appel avait considéré pour sa part que l’existence d’avis contradictoires ne suffisait pas à démontrer l’insincérité des comptes et qu’il ne s’agissait pas d’éléments probatoire pertinents. La Cour de cassation s’oppose totalement à cette lecture : elle considère qu’il existe bien une inexactitude des comptes : le premier commissaire avait certifié les comptes après une correction et un retraitement en charges exceptionnelles ; le deuxième commissaire aux comptes avait émis des réserves sur ces corrections. Or la clause de garantie d’actif et de passif visant notamment toute « inexactitude », elle était bien applicable.
La cour d’appel ne doit pas dénaturer le rapport de l’expert mettant en doute les méthodes comptables utilisées pour rédiger la clause
En deuxième lieu, la discussion porte sur les constatations opérées par l’expert judiciaire intervenu dans l’affaire. Un expert avait effectivement été désigné pour analyser plus précisément la comptabilité de la société cédée, ainsi que les méthodes employées pour fixer les éléments comptables dans la clause de garantie d’actif et de passif. Il avait considéré que les méthodes comptables pour la période de référence n’étaient pas soutenables ni vérifiables. Selon lui, elles ne correspondaient pas aux assertions figurant dans la clause de garantie. De plus, les deux certifications des commissaires aux comptes mettaient bien en évidence l’existence d’une erreur. Son rapport contenait de nombreuses constatations d’irrégularité et il en déduisait un manque de sincérité des comptes litigieux.
La cour d’appel, approuvant le cédant, avait toutefois considéré que le travail d’analyse de l’expert s’était heurté à l’absence d’un certain nombre d’éléments lui permettant de vérifier la mise en oeuvre des principes comptables et de chiffrer précisément le montant du préjudice. Il en aurait été conduit, selon la cour d’appel, à livrer dans son rapport des « conjectures, interrogations et déductions, plutôt qu’à des conclusions étayées ».
Ici, la Cour de cassation ne passe pas par quatre chemins : elle sanctionne les juges pour avoir dénaturé l’écrit (le rapport de l’expert) qui leur était soumis. Or celui-ci avait clairement pointé l’existence d’erreurs, d’irrégularité et d’inexactitudes « remettant en cause le socle sur lequel » la garantie de passif et d’actif avait été établie.
La connaissance par le cédant des irrégularités comptables de la société cédée, n’implique pas la connaissance de leur ampleur
En dernier lieu, les échanges portent sur le point de savoir si l’on pouvait considérer que le cédant, qui avait organisé un audit préalable à la cession, avait eu connaissance des inexactitudes ou des erreurs, de sorte qu’il ne puisse pas se prévaloir de la clause de garantie.
La cour d’appel avait en effet considéré que le cessionnaire ayant fait procéder à un examen des comptes et fait pratiquer un audit qui l’avait alertée sur les difficultés et imprécisions comptables, il ne pouvait plus se prévaloir de la clause. Pour les juges du fond, le cessionnaire connaissait ainsi les irrégularités dont il tentait de se prévaloir, excluant l’application de la clause.
Une lecture stricte de la clause
Pour s’opposer à cette analyse, le cessionnaire propose une lecture objective de la clause, en s’interessant seulement à sa rédaction. Il rappelle que celle-ci doit s’appliquer dès lors qu’il existe une différence entre la situation décrite dans l’acte de cession et la situation réelle constatée par le cessionnaire, sans qu’il soit nécessaire de vérifier l’état des connaissances du cessionnaire. En effet, la clause en cause était stipulée sans égard à cet état de connaissance. Le cédant s’engageait à indemniser l’acquéreur pour toute inexactitude, erreur ou omission contenue dans la clause, quelle qu’elle soit, peu important la suspicion que pouvait avoir le cessionnaire.
Cette analyse est à nouveau validée par la Cour de cassation. Celle-ci considère que l’audit et l’examen des comptes peuvent très bien avoir permis de déceler des irrégularités. Mais pour autant, elle affirme que la cour d’appel aurait du vérifier si ces démarches avaient été suffisants pour porter à la connaissance du cessionnaire la nature exacte et l’ampleur des irrégularités constatées.
Et la mauvaise foi dans tout ça ?
Les lecteurs habitués de la matière contractuelle pourraient toutefois s’interroger, en se demandant s’il n’était pas possible de reprocher au cessionnaire une certaine mauvaise foi dans l’exécution de la stipulation contractuelle. Après tout, c’est vrai, il avait eu les moyens de prendre connaissance des irrégularités, et l’on peut parfaitement imaginer (ce sera difficile à prouver) qu’il avait prévu de s’en prévaloir une fois la cession réalisée…
Néanmoins, la Cour de cassation a déjà eu une lecture similaire à celle de l’arrêt rapporté, renforçant l’efficacité des clauses de garantie d’actif et de passif. En effet, elle a déjà considéré que en 2014 (Cass. com, 9 déc. 2014, n°13-21774) que la clause de garantie de passif devait s’appliquer dès lors que le cédant s’était engagé sans aucune réserve à régler le montant de tout amoindrissement de valeur de l’actif et du passif, même si le cessionnaire, professionnel de l’investissement avait pu mettre en oeuvre tous les moyens pour mener une analyse comptable et financière de la société cédée et en déceler les irrégularités.
En définitive, cet arrêt rappelle l’importance de recourir aux clauses de garanties dans les cessions de droits sociaux, mais aussi les difficultés qu’il peut y avoir à les faire appliquer. On comprend aussi que toutes les mesures préalables qui peuvent être prises par le cessionnaire pour réduire au maximum le risque, ne peuvent pas lui être reprochées dès lors qu’elles n’ont pas permis d’identifier avec précision l’ampleur de celui-ci. Il est vrai qu’il y a tout un monde entre l’identification d’un risque (constat d’irrégularités comptables) et l’évaluation exacte des conséquences de ce risque (montant du préjudice subi). Cette lecture paraît très protectrice des intérêts des cessionnaires. Mais elle est aussi le résultat de la clause elle-même et de son contenu, issue du rapport de force existant pendant la négociation, qui a clairement penché en l’espèce en faveur du cessionnaire.
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