CARTE BLANCHE. J'ai le plaisir aujourd'hui d'ouvrir les pages de mon blog à une jeune étudiante de l'Université de Nantes, Camille Botte, dans le cadre d'un parrainage organisé entre le Barreau de Nantes et la Faculté de droit de Nantes. Camille s'est livrée à une analyse d'un arrêt récemment rendu par la Cour de cassation. Je lui souhaite tout le succès qu'elle mérite dans ses études et sa future carrière !
La possibilité pour l’enfant simplement conçu d’être indemnisé avait déjà été évoquée en 2017, pour la perte accidentelle du père (Cass. civ. 2ème, 14 déc. 2017, n° 16-26.687). Dans son arrêt de février 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation va plus loin et admet l’indemnisation de l’enfant simplement conçu pour la perte de son grand-père dû à un fait présentant le caractère matériel d’une infraction (Cass. civ. 2ème, 11 févr. 2021, n° 19-23.525).
En l’espèce, un homme a été tué par arme blanche le 7 septembre 2014. L’auteur des faits a été reconnu coupable et condamné devant la Cour d’Assises. Quelques mois plus tard, la fille de la victime donne naissance à une petite fille et demande alors, en sa qualité de représentante légale, à ce que cette dernière soit indemnisée du préjudice moral de la perte de son grand-père survenue alors même que l’enfant n’était pas encore née.
L’enfant à naitre peut-il obtenir réparation du préjudice résultant de la perte de son grand père?
I. L’indemnisation de l’enfant à naitre
Rappelons qu’en France, la personnalité juridique s’acquiert avec la naissance et seulement si l’enfant est viable et vivant. On considère que l’enfant, avant la naissance n’est pas une personne au sens juridique du terme. Les juges refusent par exemple de considérer que la perte d’un enfant qui résulte d’un accident de la route soit interprétée comme un homicide involontaire. (Cass. Ass Plén., 29 juin 2001, n° 99-85.973) En conséquence, l’enfant simplement conçu ne peut, en principe, pas obtenir d’indemnisation.
Cependant, il existe en France un principe « infans conceptus pro nato habetur quoties de comodo ejus agiturqui » qui permet à l’enfant à naître de bénéficier de certains droits lorsque cela est dans son intérêt et qu’il peut en tirer avantage (Cass. civ. 1ère, 10 déc. 1985, n° 84-14.328). Par conséquent, l’enfant simplement conçu sera considéré fictivement comme une personne, depuis sa conception, s’il en va de son intérêt. Ici, ce point n’a pas posé problème puisqu’il est admis que l’action en justice afin d’obtenir réparation est tout à fait dans l’intérêt de l’enfant simplement conçu (Cass. civ. 2ème, 14 déc. 2017, n° 16-26.687, précité).
C’est aussi ce principe qui permet de considérer que la naissance postérieure au fait générateur ne soit pas un obstacle à l’indemnisation du préjudice. Pour pouvoir obtenir une indemnisation, il faut démontrer un préjudice certain et personnel. On admet en jurisprudence et depuis quelques années, la possibilité d’indemniser les victimes par ricochet c’est-à-dire une personne proche de la victime directe (Cass. crim., 20 févr. 1863).
Les personnes de même famille, comme c’est le cas ici, peuvent être victimes par ricochet. La Cour de cassation a considéré ici que le préjudice subi par l’enfant simplement conçu était personnel en ce que l’enfant était privé de la présence de son grand-père dont il avait vocation à bénéficier et souffrait donc de son absence définitive. La Cour de cassation estime qu’il n’y a pas besoin de démontrer que l’enfant aurait entretenu des liens particuliers avec le défunt s’il l’avait connu. Le seul fait de la privation suffit à caractériser le préjudice. La Cour considère que le préjudice est caractérisé et que l’enfant souffrira de l’absence définitive de son grand-père dans la mesure où il était censé bénéficier de la présence de son grand père, c’est la caractérisation de l’élément matériel de l’infraction qui permet l’indemnisation car c’est cet évènement qui a provoqué le décès du grand-père.
II. Les solutions jurisprudentielles antérieures
Comme vu précédemment, il est admis depuis longtemps que l’enfant à naitre puisse être indemnisé. Cette indemnisation est possible si l’enfant est la victime directe ou la victime par ricochet du fait dommageable. En l’espèce, l’enfant à naitre était une victime par ricochet. La jurisprudence a, en matière d’indemnisation, bien évolué ces dernières années. Elle est de plus en plus favorable à l’indemnisation, notamment avec la consécration de la victime par ricochet. On constate aussi que la place de l’intérêt de l’enfant est importante, l’arrêt de la 2ème chambre du 11 février 2021 ne fait pas exception à la règle.
La jurisprudence était donc déjà favorable à l’indemnisation de l’enfant à naitre. C’est ce qu’elle avait montré dans l’arrêt de 2017 lorsqu’elle avait indemnisé l’enfant à naitre pour la perte accidentelle de son père. Cependant, dans son arrêt de 2021, la Cour de cassation va plus loin et indemnise l’enfant pour la perte de son grand-père, qui est donc un proche d’un degré plus éloigné. L’autre évolution de cet arrêt se trouve dans la cause du décès, en effet, il n’est plus nécessaire que la mort résulte d’une cause accidentelle, la disparition peut également résulter de la caractérisation de l’élément matériel d’une infraction. Cette solution ouvre la porte à de nombreuses questions et de nombreuses possibilités.
III. Conclusion
Cette solution rendue par la Cour de cassation dans son arrêt du 11 février 2021 est nouvelle et laisse place à de nombreuses interrogations. L’indemnisation de la perte d’un aïeul n’est-elle possible que lorsque le décès du proche résulte de la caractérisation de l’élément matériel d’une infraction? En l’espèce, si l’infraction n’avait pas eu lieu on peut penser que l’enfant aurait connu son grand père. C’est bien la caractérisation de l’élément matériel de l’infraction qui a causé le préjudice de l’enfant.
Se pose alors la question de l’accident : on admet l’indemnisation de l’enfant à naître pour la perte accidentelle de son père, mais cela est-il possible pour le grand-père? Il n’y a pas de réponse à ce jour mais la Cour a, dans cet arrêt de 2021, insisté sur la caractérisation de l’élément matériel de l’infraction, ce qui laisse à penser que pour le moment la simple disparition accidentelle ne suffirait pas à caractériser l’indemnisation.
Enfin, il ne faut pas comprendre de cette souplesse des juges que tout est admis. En effet, la Cour de cassation a, par exemple, refusé d’indemniser l’enfant pour la perte de sa soeur ainée décédée plusieurs années plus tôt. On peut donc correctement penser qu’il est nécessaire que l’enfant soit conçu au moment de la survenance du décès (Cass. civ., 2ème, 11 mars 2021, n°19-17384).
Une autre question peut finalement être soulevée : est ce que l’indemnisation peut résulter d’un autre événement que le décès ? L’enfant peut-il se prévaloir du handicap d’un parent par exemple? Beaucoup de questions restent encore aujourd’hui sans réponses mais au vu de la jurisprudence dégagée par la Cour, qui cherche à protéger l’intérêt de l’enfant, on pourrait envisager que cela soit admis dans les prochaines années.
Camille Botte, étudiante, titulaire d’une Licence 3 en droit, admise en M1.