Nom de domaine et marque en argot : le cas de « carrouf.fr »

Il peut arriver que, dans le langage commun, une marque devienne si populaire que la population l’adopte et la déforme. C’est le cas, par exemple, de la marque emblématique Carrefour, souvent détournée en argot sous le nom de « Carrouf » par les jeunes et les moins jeunes. Dans cet article, nous aborderons la question de savoir si le titulaire de la marque Carrefour peut exercer des droits sur le terme argotique dérivé de sa marque et s’opposer à l’enregistrement du nom de domaine carrouf.fr. Pour ce faire, nous nous appuierons sur une affaire récente rendue par l’AFNIC le 25 février 2023.

Contexte 

Le 21 février 2022, un certain Monsieur B. a réservé le nom de domaine carrouf.fr auprès d’un bureau d’enregistrement. Le 17 février 2023, la société Carrefour a saisi l’AFNIC dans le cadre de la procédure PARL EXPERT. La société Carrefour estime que l’enregistrement du domaine carrouf.fr est susceptible de porter atteinte à ses droits de propriété intellectuelle et de la personnalité, que le titulaire ne justifie pas d’un intérêt légitime et agit de mauvaise foi. Elle s’appuie sur l’article L. 45-2 du Code des Postes et des Communications Électroniques (CPCE).

Après avoir pris connaissance du rapport d’un expert, l’AFNIC a donné raison en tous points à la société Carrefour.

L’intérêt légitime de Carrefour 

La société Carrefour dispose bien d’un intérêt légitime dans le cadre de la procédure PARL EXPERT. En effet, elle est titulaire de plusieurs centaines de marques enregistrées depuis le début des années 2000 sous la dénomination « Carrefour ». De plus, elle détient le nom de domaine carrefour.fr depuis 2005. Le terme « carrouf » est si proche de cette dénomination et de ces marques qu’il pourrait induire un risque de confusion dans l’esprit du public. Par conséquent, la société Carrefour est légitime à agir.

L’atteinte aux droits de Carrefour

Pour déterminer si la société Carrefour subit une atteinte à ses droits, il est utile de noter l’antériorité très importante des termes « Carrefour », que ce soit en tant que marque ou dénomination (dès 1963). De plus, le terme « Carrouf » est très semblable au terme « Carrefour », ne se distinguant que par la modification ou la suppression de quelques lettres. Le public utilise également fréquemment le terme « Carrouf » dans le langage courant, comme en témoignent de nombreux tweets produit par la requérante.

L’atteinte est donc évidente en raison du risque de confusion entre le nom de domaine carrouf.fr et le titulaire des marques et de la dénomination Carrefour. Il est à noter tout de même que la société Carrefour n’a pas choisi de déposer le terme Carrouf en tant que marque.

L’absence d’intérêt légitime du titulaire

Monsieur B. ne disposait d’aucun droit sur le terme Carrefour et ses dérivés. Il n’était titulaire d’aucune autorisation, licence ou lien quelconque avec Carrefour. De plus, aucune activité n’était associée au nom de domaine litigieux, qui redirigeait vers une page « en maintenance ». Le site carrouf.fr n’était donc pas utilisé et n’était en relation avec aucune offre de biens ou de services.

La mauvaise foi du titulaire 

Concernant la mauvaise foi, la preuve est souvent difficile à établir. Cependant, dans ce cas, il est considéré comme « probable » que le déposant, Monsieur B., était conscient que la société Carrefour était titulaire de droits sur un terme proche du nom de domaine. Selon l’expert et l’AFNIC, il ne pouvait ignorer l’existence de la société Carrefour et de ses droits antérieurs au moment de la réservation du nom de domaine.

Bien que Monsieur B. ait tenté d’affirmer qu’il n’avait jamais eu l’intention de profiter de la notoriété de la société Carrefour et que le nom de domaine carrouf.fr était destiné à un projet confidentiel, il n’a pas fourni d’éléments concrets pour étayer ces affirmations.

La décision de l’AFNIC 

L’AFNIC a statué en faveur de la société Carrefour en ordonnant la transmission du nom de domaine carrouf.fr à son profit.

En conclusion, cette affaire souligne l’importance de la prudence lors de la réservation d’un nom de domaine similaire à une marque ou à un autre nom de domaine déjà enregistré, même s’il s’agit d’une expression argotique devenue courante.

Si vous avez des questions sur votre nom de domaine ou souhaitez bénéficier de conseils avant de réserver un nom de domaine, n’hésitez pas à m’appeler ou à venir m’en parler