Une décision récente rendue par le tribunal de l’Union européenne a donné un coup de projecteur sur la notion de marque sonore.
Dans cette affaire, un déposant avait tenté d’enregistrer auprès de l’Office européen de la propriété intellectuelle (EUIPO), en tant que marque de l’Union européenne, le son que produit l’ouverture d’une canette de soda. Vous savez, le petit bruit métallique que l’on entend lorsque l’on appuie sur l’opercule, puis le doux pétillement de la boisson gazeuse !
Le déposant avait produit à l’appui de sa demande un fichier audio de quelques secondes. Il souhaitait, avec cette marque, désigner des produits correspondants aux cannettes et boissons. L’EUIPO avait néanmoins refusé d’enregistrer ce son en tant que marque, pour « défaut de caractère distinctif ». Selon l’office, la marque ne pouvait pas être perçue comme un indicateur de l’origine commerciale des produits. Saisi d’un recours, le tribunal de l’Union européenne a confirmé cette position.
Profitons de cette occasion pour apporter quelques précisions sur la marque sonore.
– Pourquoi déposer un son en tant que marque ?
Pourquoi faudrait-il avoir dans son portefeuille de marque des marques sonores, en plus des marques plus classiques (verbales, figuratives, semi-figuratives, de forme, etc.) ?
L’une des raisons est simplement qu’aujourd’hui tous les supports de communication commerciale sont dématérialisés. Les vidéos et les sons sont partout (ordinateurs, smartphone, ordinateurs, appareils connectés) pour appuyer une campagne de promotion de produits et de services. Il peut alors être particulièrement interessant dans le cadre d’une stratégie marketing de se doter (et de le protéger), en plus d’une marque traditionnelle, d’un jingle, d’un gimmick, d’un son, propre aux produits ou services de l’entreprise, permettant au consommateur d’identifier l’origine du produit ou du service.
Lorsqu’une telle campagne est bien menée, cela fonctionne. On est tous capable aujourd’hui d’associer un son à des produits (Microsoft ; son au démarrage d’une console de jeu vidéo), ou de services (SNCF, Netflix).
– Un son peut être protégé en tant que marque en France
En droit français et jusqu’à il y a peu, la seule possibilité de déposer un son en tant que marque était soumis à la possibilité de pouvoir être représenté graphiquement. Aussi, seules les mélodies, reproduites sur une portée musicale (clés, notes, rythme, etc.) voire à l’aide d’autre procédés de représentation (spectre, sonagramme, etc.), pouvaient véritablement être déposées en tant que marques. Les bruits, et tout ce qui ne pouvait pas être reproduit sur une portée ou représenté graphiquement, étaient en revanche exclus de cette protection.
Sous l’impulsion du droit européen, la loi PACTE de 2019 (et ses textes d’application), a finalement ouvert plus largement la possibilité de déposer toutes sortes de sons à titre de marque. Désormais, pour être déposé en tant que marque, le signe distinctif doit pouvoir être « représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l’objet de la protection conférée à son titulaire » (CPI, art. L. 711-1).
Il a donc fallu que l’INPI adapte ses outils pour permettre de le dépôt de marque de façon un peu plus moderne qu’auparavant : les fichiers audio Mp3 ou vidéo Mp4 sont par exemple autorisés (les format autorisés sont listés dans un guide). La créativité n’a plus qu’à s’exprimer !
– Une pratique à développer pour les marques françaises
Toute la question est maintenant de savoir quelles sont les entreprises qui vont se saisir de cette opportunité dans la vie des affaires. Pour l’heure, on décèle assez toutefois peu de demandes de marques sonores auprès de l’INPI.
La toute première demande, un peu étrange, a été faite en 2019. Elle peut être consultée en cliquant ici. Selon le déposant, cette marque « Or-ion est un son qui élève le taux vibratoire de toute matière et il est harmoniser énergétique ». Elle a été déposée pour les produits de classe n°9 : appareils pour la transmission du son, pour la reproduction du son, dispositifs de protection personnelle contre les accidents. L’INPI ne s’est pas encore définitivement prononcée sur son enregistrement.
Depuis, quelques marques sonores déposées en fichier audio ont bien été enregistrées. Parmi les rares exemples enregistrés par l’INPI, on peut écouter les sons suivants :
- Pour la marque Kizouk : https://data.inpi.fr/marques/FR4674700?q=#FR4674700
- Pour Radio Vinci autoroute : https://data.inpi.fr/marques/FR4647703?q=#FR4647703
En revanche, à l’échelle européenne, les possibilités étaient déjà plus largement ouvertes depuis 2017. Il est en effet permis de déposer au format audio devant l’EUIPO des marques sonores :
- Pour The Football Association Premier League Limited : https://data.inpi.fr/marques/EM018337851?q=#EM018337851 (
- Pour Novartis https://data.inpi.fr/marques/EM018288003?q=#EM018288003
- Pour Autodistribution : https://data.inpi.fr/marques/EM018008723?q=#EM018008723
– Quelle conditions réunir pour déposer une marque sonore ?
Il faut toutefois garder à l’esprit que toutes les conditions applicables aux marques « traditionnelles » trouvent à s’appliquer aux marques sonores (en droit français v. Par ex. les articles L. 711-2 et L. 711-3 du CPI ; pour les marques de l’UE : art. 7 et 8 du règlement 2017/1001). Cela implique alors une analyse précise de chaque cas de figure d’autant que les pratiques étant nouvelles s’agissant des dépôts en fichiers audio, et qu’il y a peu de recul sur la doctrine des offices et peu de décisions de tribunaux pour nous éclairer.
Ainsi, par exemple le signe doit être distinctif. C’est-à-dire qu’il doit permettre aux consommateurs de différencier clairement les produits ou services visés, de ceux distribués par un concurrent. Pour en revenir à l’affaire évoquée en introduction, il ne fait pas de doute qu’un bruit de canette qui s’ouvre ne permet pas de différencier une canette de soda d’une autre canette de soda…. On pourrait craindre une analyse identique pour l’enregistrement d’un moteur de voiture ou de scooter par exemple. Pour aller à l’essentiel : même sonore, la marque doit permettre au consommateur d’identifier l’origine commerciale des produits, sans confusion possible avec les produits d’autres entreprises.
De même, une marque ne peut pas être déposée si elle est composée exclusivement d’éléments qui servent à désigner dans le commerce une caractéristique du produit. Il ne peut pas s’agir non plus d’éléments fonctionnels des produits ou d’un signe qui décrit le produit ou le service, ou des signes qui sont constitués exclusivement par une caractéristique imposée par la nature même du produit.
Il serait encore impossible de déposer une marque qui porterait atteinte à un droit d’auteur (un extrait de film, de chanson ou de discours par exemple, sauf à en être le titulaire légitime), à une marque antérieure ou à un autre signe distinctif (une voix qui prononcerait une marque verbale antérieure, comme « Coca-Cola »).
On pourrait encore multiplier les exemples en indiquant que la marque sonore devra aussi ne pas être contraire à l’ordre public, ni être de nature à tromper le public, etc.
– Consultez votre avocat pour sécuriser le dépôt de votre marque sonore
Le dépôt d’une marque au format audio vous intéresse ? Il est important de s’engager dans un tel projet, avec précaution. Le rejet de la demande par l’office de la propriété intellectuelle compétent, l’exercice d’un droit d’opposition par un tiers, voire une action en nullité de la marque, sont encourus.
Il est donc plus que conseillé de consulter votre avocat, qui saura vous assister dans le dépôt de votre marque sonore. Contactez-nous !